Le gouvernement camerounais craint que les perturbations fréquentes de la distribution électrique, qui causent des désagréments importants dans les ménages et les entreprises, ne provoquent des troubles sociaux. Une correspondance du ministre de l'Eau et de l'Energie au directeur général d'Eneo, le distributeur exclusif de l'énergie électrique au Cameroun, du 9 février 2024 révèle cela. « (…) Il est important de vous rappeler que ces délestages répétés pourraient donner lieu à des troubles sociaux, et pour lesquels votre responsabilité sera engagée », prévient Gaston Eloundou Essomba.

En raison d'un déséquilibre entre l'offre et la demande d'électricité qui atteint souvent 185 MW pendant cette période d'étiage, Eneo est sommé de mettre à contribution toutes les centrales thermiques afin d'éviter une grogne populaire à la suite des délestages observés depuis deux mois dans le réseau interconnecté Sud (qui couvre six régions sur les 10 que compte le pays, NDLR). En attendant l'acheminement des 60 premiers MW du barrage de Nachtigal (420 MW) dans le réseau dès le 24 février 2024, Gaston Eloundou Essomba donne des directives à Actis, la filiale du fonds d'investissement britannique, pour optimiser le fonctionnement de toutes les centrales hydroélectriques. Et de responsabiliser les entreprises considérées comme consommatrices d'énergie qui, comme d'habitude, pourraient interrompre le réseau à certains moments de la journée au profit des ménages, ce qui entraînerait une baisse de leur production et les conséquences associées.

Il n'y a pas encore de réponse officielle du distributeur exclusif de l'électricité au Cameroun à cette mise en garde, après les instructions du gouvernement. Cependant, il devrait être difficile pour la compagnie d'électricité de mettre à contribution les centrales thermiques, dont le fonctionnement nécessite d'importants frais de combustibles, s'il est probable qu'à la demande du gouvernement certaines entreprises baissent effectivement leurs niveaux de consommation pour permettre l'alimentation des ménages. Selon Eneo, l'entreprise est confrontée à des tensions de trésorerie constantes en raison de l'accumulation de factures impayées par l'État et de ses démembrements.

D’une Discorde concernant la dette demandée à l'État.

Par exemple, Eneo a des créances dues par le secteur public (État et autres entités publiques) qui s'élèvent à 234,5 milliards de FCFA à la fin septembre 2023, selon un document interne dont Investir au Cameroun a obtenu une copie. Trois principales catégories de créanciers sont responsables de cette dette : l'État central (131,7 milliards de FCFA), les entreprises publiques (55 milliards de FCFA) et les autres entités publiques (47,8 milliards de FCFA).   Cependant, le montant de cette dette est contesté par le gouvernement. Selon les pointages du ministère des Finances, entre 2021 et 2023, des paiements globaux d’un montant total de 299,8 milliards de FCFA ont été faits à la compagnie d’électricité par le Trésor public, pour apurer le montant de la dette validée au 31 décembre 2023.

« Après plusieurs séances de pointages contradictoires des paiements effectués par l’Etat central à Eneo, et des pièces justificatives des dépenses validées, exigibles et payées, une situation consolidée a été arrêtée de commun accord entre les équipes du Minfi (ministère des Finances), d’Eneo et de l’Arsel (Agence de régulation du secteur de l’électricité), et consignée dans un procès-verbal. Il est arrêté à ce titre, un montant global des paiements en faveur d’Eneo de l’ordre de 299,8 milliards de FCFA, contre un montant global facturé de 283,5 milliards de FCFA, laissant apparaître un gap de 16,3 milliards de FCFA en faveur de l’Etat, et qui sera affecté aux paiements des différentes rubriques de dépenses en cours de validation par les structures compétentes », soutient-on au ministère des Finances. Est-ce en raison de cette posture gouvernementale que le ministre Eloundou Essomba somme Eneo de faire tourner les centrales thermiques, malgré les tensions de trésorerie généralement excipées par le distributeur de l’électricité ?

En plus du désaccord entre Eneo et l'État concernant le montant de la dette demandée au secteur public, les délestages en cours au Cameroun sont le résultat d'un investissement qui est sous-évalué : la construction du barrage de Memvé'élé. Suite à la diminution de l'hydrologie du fleuve Ntem, des limitations de production dans le système électrique vont entraîner des rationalisations du service électrique dans les régions du Centre, du Sud, de l'Est, du Littoral, de l'Ouest, du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Le distributeur de l'énergie électrique explique dans un communiqué publié le 25 janvier 2024 que Electricity Developement Corporation (l'entreprise publique de patrimoine du secteur de l'électricité, NDLR) a annoncé à Eneo que la baisse de production à Memvé’élé persistera jusqu'en mars.